"Le virus, révélateur de décivilisation

9 chantiers et bien d’autres

 
L’irruption du coronavirus et sa diffusion partout dans le monde viennent rappeler l’humanité à sa condition. Il s’agit d’un événement majeur qui suscite l’inquiétude, provoque des incompréhensions, et déclenche des mesures inédites. Il vient aussi mettre à jour les graves dangers provoqués par les politiques néolibérales et l’urgence de profonds changements. Inutile de préciser que l’accélération macroniste n’a pas arrangé les choses. C’est l’état de civilisation de nos sociétés qui est révélé par le virus.
 

Considérer la santé comme un bien commun mondial


 
Les humains ont partie liée tout autour de la planète. Nous sommes interdépendants et ce n’est qu’ensemble que nous pourrons relever les défis communs. Nous savons que les fragilités sanitaires des uns mettent en danger la sécurité de tous les autres. Nous savons que les pollutions, la malproduction, le maltravail et la malbouffe nous abîment. C’est pourquoi le droit à la santé doit être ardemment promu au rang de priorité première de l’échelle nationale à l’échelle internationale. Cela suppose une solidarité dont les obsédés de la frontière ne veulent pas et que les obsédés du libéralisme veulent réduire à sa plus simple expression. Cela suppose aussi que rien ne puisse passer avant, pas même l’orthodoxie budgétaire.
 

Développer les outils de santé publique


 
Former des professionnels de santé est une exigence qui appelle un plan d’action rapide. En tous domaines, nous manquons de professionnels du soin justement formés, justement reconnus et justement rémunérés.
Le droit à la santé appelle des services publics de santé développés permettant l’égal accès de toutes et de tous aux soins. L’hôpital public est en crise depuis des années maintenant, avec un personnel en grande souffrance. Les gouvernements n’en ont toujours pas pris la mesure.
Ces services publics doivent être accompagnés de systèmes solidaires de protection sociale étendus en termes d’assurance maladie. Il y a encore beaucoup à faire en la matière. Il faut arrêter d’assécher les ressources de la sécurité sociale.
Plusieurs chercheurs ont dénoncé le manque de moyens pour la recherche sur les virus de type corona, témoignage d’un défaut beaucoup plus global. Comment agir sans savoir ? La recherche en général, notamment fondamentale, et médicale en particulier, est un secteur crucial qui ne doit pas être soumis aux exigences de rentabilité. Vecteur décisif du progrès humain, elle doit être inscrite dans des logiques d’ordre public.
La politique du médicament elle-même, déjà en question, est désormais clairement en cause, tant le secteur est affaibli. Notre pays a besoin de prendre toute sa part dans la conception et la fabrication, ce qui renforce la nécessité de construire un pôle public du médicament.
 

Etre capables des réactions adaptées


 
La situation actuelle appelle à revoir les règles habituelles pour protéger les plus fragiles. Cela veut dire a minima repousser la trêve hivernale pour les expulsions, débloquer des moyens pour les EHPAD, renoncer à appliquer la réforme de l’assurance-chômage, créer un fonds de soutien aux TPE…
Elle appelle également une régulation plus forte de la finance et de l’économie. Les grandes manoeuvres spéculatives doivent être bloquées et les appels au boursicotage doivent cesser avec les bonifications sociales et fiscales qui les encouragent.
Elle appelle encore l’investissement public. L’hôpital public, notamment, doit recruter et former massivement et de façon accélérée du personnel. Et nous devons accepter qu’un certain nombre de dépenses indispensables occasionnées par la crise sanitaire et ses effets devront être amorties sur un temps long.

Augmenter la protection sociale solidaire


 
Il ne peut y avoir de droit à la santé sans assurance maladie. La sécurité sociale, affaiblie par certaines mesures au cours des dernières années, peut encore progresser en la matière.
Mais c’est toute la protection sociale qui doit gagner du terrain. La récente réforme de l’assurance chômage dont les dégâts étaient annoncés va voir ses effets négatifs décuplés avec la crise qui s’annonce. Et la réforme des retraites dont l’un des objectifs affichés et de laisser les séniors plus longtemps dans l’emploi ou le chômage va se révéler encore plus inadaptée à nos existences.
De tous temps, les forces de l’argent et les forcenés du libéralisme ont voulu réduire la part des richesses produites socialisée pour faire face ensemble aux risques. La crise du coronavirus montre la dangerosité de cette obsession. C’est ensemble, en développant des moyens de sécurité sociale, par la solidarité, que nous nous protégeons le mieux.
 

Lutter contre les inégalités, fléau pour toute l’humanité


 
L’aspiration à l’égalité est forte, à commencer par l’égalité entre les femmes et les hommes.
Nous savons combien la santé est sensible aux conditions sociales. Nous savons combien la misère et la faiblesse des ressources impactent toute l’existence. Toute une part de l’économie européenne et mondiale prospère sur ces réalités qui précarisent la vie d’une part importante de la population. Et le capitalisme fonde son développement sur la permanence et l’accroissement de ces inégalités, qui provoquent le malheur d’un si grand nombre pour le profit de quelques uns et qui attisent les tensions destructrices. Cela rend d’autant plus urgent de garanti un travail justement rémunéré et des conditions de vie décentes à chacune et chacun comme une condition du contrat social.
 

Mettre en cause la croissance capitaliste, accélératrice de fragilités


 
La crainte d’un ralentissement de l’économie n’a pas été le moindre des freins à la prise en compte du risque. Or, il était impossible d’agir efficacement sans affecter la vitesse, l’ampleur et la nature des échanges marchands qui structurent l’organisation de nos sociétés et de leurs relations ; et donc sans toucher aux profits des puissants (l’économie du sport en a été la partie la plus visible). Les événements viennent donc interroger la structure de l’économie mondiale.
La nécessité de relocaliser un certain nombre de productions était déjà établie pour des raisons environnementales et sociales. Il ne s’agit pas de prôner des modèles autarciques, protectionnistes, nationalistes mais une organisation raisonnée de la production et des échanges, le respect de celles et ceux qui travaillent, un autre rapport aux ressources de la planète, des modèles de coopération plutôt que de concurrence, la préservation de secteurs essentiels en gestion publique. Oui, il y a besoin de services publics. Tout cela ne va pas de soi, nécessité des débats de fond et appelle de la politique.
 

Développer la démocratie citoyenne


 
Etre informé et faire des choix. Ne pas subir le cours des choses imposé par les plus forts. C’est là les exigences qui émergent devant cette crise. C’est lorsqu’ils sont informés, lorsqu’ils disposent de la connaissance que les femmes et les hommes sont le mieux à même de réagir face au danger. Et c’est dans des choix élaborés collectivement que les réactions sont les plus efficaces. D’où la nécessité de recréer de la confiance dans les outils publics et de revitaliser la démocratie.
Ce qui est vrai pour l’urgence l’est d’autant plus en temps ordinaires. Cette crise a mis en exergue le besoin de voir la puissance publique prendre ou reprendre la main sur des champs qu’elle avait abandonnés. Nous devons partout faire grandir la démocratie, pour que les orientations économiques ne s’imposent pas à la volonté démocratique, à l’intérêt général, au bien commun.
La démocratie sanitaire, la démocratie sociale sont des dimensions incontournables de cette dynamique cruciale.
 

Relancer la solidarité internationale


 
Peut-on imaginer une réponse solide qui ne naisse pas d’une solidarité et d’une coopération internationales décuplées, alors que les institutions internationales sont profondément affaiblies. Nous sommes liés. Liés face au défi de la planète, liés face au défi de la santé, comme nous le sommes aussi dans un autre registre face au défi du terrorisme : liés face à notre destin d’humanité.
Il faut donc réinvestir dans les institutions pour les transformer et redéfinir leurs ambitions avec l’objectif de leur permettre de jouer un rôle accru face aux défis communs en cherchant les voies d’une solidarité concrète à la hauteur des enjeux.
 

Retrouver du sens pour une nouvelle dynamique de civilisation


 
L’épidémie peut avoir des effets contraires sur les relations sociales. Elle peut attiser le repli, la méfiance, la peur, la dépression. Elle peut aussi décupler la solidarité, l’attention, la combativité, la prise de conscience. Dans l’immédiat, elle modifie nos relations sociales et nos activités humaines. Les précautions sont salutaires pour peu qu’elles ne tournent pas à la névrose. Nous devons être vigilants à ce qu’elles ne viennent pas neutraliser tout ce qui nous rapproche et nous lie.
Cette occasion dramatique, qui met en lumière les transformations sociales indispensables, doit provoquer un sursaut d’humanité : prendre soin de l’humain. Elle doit nourrir nos rêves d’un monde meilleur, nous donner de la force pour affronter le défi de l’humain et de la planète.
Pour le communiste que je suis elle renforce la conviction que l’organisation capitaliste du monde est inadaptée, contraire au bien humain. Elle renforce l’urgence de construire une dynamique de gauche pour engager une nouvelle étape de progrès de civilisation, en France, en Europe et dans le monde. Rien de tout cela n’évitera le surgissement de virus, mais c’est ainsi nous serons plus forts pour leur faire face, ensemble, aujourd’hui et demain.
 
 
Pierre Dharréville,
Martigues, le 12 mars 2020.