Ralentir...

Tout le monde n’a pas ralenti : pour faire face, les personnels soignants, les professionnels de santé, les pompiers, ou encore les chercheurs ont plutôt été soumis à rude accélération. Mais dans l’ensemble, quand même, le monde a ralenti sa course. Je m’interroge depuis longtemps sur cette fuite en avant, sur cet emballement, sur cette accélération permanente.

La planète elle-même, comment l’ignorer, en souffre. Parce que cette course effrénée épuise ses ressources et sa capacité de régénération. Et nous, pauvres humains, sommes-nous faits pour supporter ça ? Qu’est-ce qui nous fait courir ? Où courons nous si vite ? L’humanité avance comme un canard sans tête. Et nous en connaissons les ressorts : la compétition, la concurrence, et en définitive, le profit (de quelques uns).

Nos modes de production et de consommation doivent être démocratiquement revus, pensés et maîtrisés.

Notre modèle de développement s’est construit sur cette matrice et nous en sommes les prisonniers. Et pour une part les prisonniers volontaires. Pour une part seulement, parce que ce sont les grands propriétaires qui détiennent les clefs du camion. Leur pouvoir sur nos vies et sur le monde est exorbitant. Et leur guerre ne profite qu’à eux, mais elle nous embarque toutes et tous. Est-il bien essentiel d’aller faire du tourisme dans l’espace ? A quel rythme et à quel prix faut-il accélérer la transmission des données ? Est-il soutenable de changer de portable à chaque fois qu’Apple éternue ? Combien de vols touristiques par semaine peut supporter la Méditerranée ? C’est toujours la loi de l’offre et de la demande qui en décide, c’est toujours le marché. Nous devons reprendre la main. Dans leur costumes gris, et derrière leurs lunettes de premiers de la classe, ces gens ne sont pas sérieux. Pour faire tourner ce moteur à deux temps, ils essorent les travailleurs et les travailleuses comme la planète. Mais, j’ai encore entendu juste avant le confinement qu’il fallait travailler plus et plus longtemps à leur service. Mais pour répondre à quels besoins ? Nos modes de production et de consommation doivent être démocratiquement revus, pensés et maîtrisés. Pour changer aussi nos modes de vie. Pas pour revenir en arrière. Non plus pour que seuls quelques uns profitent des vraies avancées. Pour être mieux l’humanité que nous devons être. Pour chercher l’émancipation de chacune et de chacun, comme celle de toutes et tous au lieu de chimères insaisissables, éphémères et amères. Pour retrouver du sens.

Ce moment que nous vivons, ce coup d’arrêt, il nous oblige à nous interroger. Où allons-nous ? Où aller ? Et surtout comment ? Car, c’est bête à dire, mais le bonheur se cueille en chemin. A condition que celui-ci ne mène pas à l’abîme (et qu’il la longe le moins souvent possible). Nous devons répondre aux besoins de l’humanité et c’est à quoi le travail est indispensable, c’est à quoi il doit être utile. Mais qu’on ne gaspille pas le travail non plus que les ressources. Qu’on ne gaspille pas le temps des humains, ni leurs énergies, ni leur créativité, ni leurs corps : qu’on ne gaspille pas les humains ! Répondre aux besoins, c’est une tâche urgente. Nourrir l’humanité, loger l’humanité, chauffer l’humanité, soigner l’humanité, transporter l’humanité, lier l’humanité, faire vibrer l’humanité... Toute l’humanité. Et rien de cela n’a de sens si la planète brûle. Et tout cela prend sens pour construire la grande paix humaine. 
Donc au stade où nous en sommes, oui, je crois qu’il faut faire grandir plus fort des interrogations profondes pour ne pas continuer à laisser mener l’humanité par le bout du nez à sa perte. 
 
Nous pouvons agir pour ça. Je pose ici quatre ou cinq idées mal dégrossies et non exhaustives. Pour arrêter la course à la compétitivité et la délocalisation forcenée de la production, il faut établir une sorte de passeport social et environnemental des marchandises. Pour engager la transition écologique, il faut une planification démocratique parce qu’il y a des choses qu’il faut produire moins et il y a tout ce qu’il faut produire mieux ; une transition qui pourrait être accompagnée d’une sorte de nouvelle caisse de sécurité sociale : une assurance emploi-formation pour les secteurs impactés. Pour donner plus de place au libre développement de chacune et chacun, il faut changer le travail, réduire le temps qu’on y passe. Pour prendre soin de l’essentiel, il faut consacrer plus de richesses à prendre soin des humains, par l’élévation de la protection sociale, la croissance des services publics, le déploiement de la culture et de la création. Pour partager, il faut protéger les biens communs (n’oubliez pas de participer au grand inventaire !) et développer la démocratie.
 
Pour moi, cela appelle à dépasser le capitalisme qui a embourbé l’humanité à ce stade inquiétant de développement et enfermé les humains dans de petits horizons, pour inventer un nouvel élan de civilisation. Il faut changer de trajectoire. Décider de changer de trajectoire. Profitons d’avoir ralenti pour le faire.