Prendre du champ 

Les maladies et les maux en tous genres ne connaissent pas de trêve. Pendant que le Covid-19 s’acharne sur l’humanité et mobilise nos moyens, le reste n’en demeure pas moins dangereux.
Et il ne faudrait pas qu’à être concentrés sur le nouveau virus, nous imaginions pouvoir oublier l’ensemble des gestes de prévention nécessaires. Le directeur de l’hôpital de Martigues me disait voici quelques jours qu’il réfléchissait à la reprise d’un certain nombre d’activités comme la mammographie : le cancer du sein ne doit pas attendre. Il s’étonnait également du nombre d’accidents cardio-vasculaires en baisse notable : le risque est qu’ils passent sous les radars. La dégradation généralisée de l’hôpital public a conduit à annuler les soins programmés pour ne plus s’occuper que des grandes urgences et du COVID-19. Et nous allons payer cette rupture dans la continuité des soins, ces retards, comme cette entaille à la prévention. Une vague peut en cacher une autre. Et une autre vague attend l’hôpital, avant la fin de celle du Covid-19. Nous devons dès aujourd’hui éclaircir son horizon et le gouvernement refuse ce débat.
 
Je recevais voici quelques jours une lettre du docteur Sophie Dartevelle, présidente de l’union. Française pour la santé bucco-dentaire, association à laquelle je porte une attention particulière, dans laquelle est réaffirmée qu’il ne peut y avoir de bonne santé sans une bonne santé bucco-dentaire. S’il  était nécessaire d’interrompre l’activité pour affronter la vague épidémique, cela ne peut pas durer au risque de mettre en danger, parfois durablement, notre santé. « Aujourd’hui,  explique-t-elle, ce sont des parcours de soins qui sont au point mort, des cas individuels non traités alors qu’ils devraient l’être et des infections qui risquent de s’aggraver. L’inertie, sur ce sujet comme sur d’autres, n’est pas une réponse digne de notre pays. » Cela va mieux en le disant, il ne s’agit pas de réclamer le droit à encaisser de nouveau les honoraires, mais à permettre à la santé bucco-dentaire de « retrouver sa place au sein du parcours de santé ». On pourrait également parler du travail d’éducation, de rééducation ou de maintien, celui des orthophonistes, celui des orthoptistes, celui des kinésithérapeutes… Sans parler du recours si précieux aux psychologues et aux psychiatres, même s’il demeure une activité, fort heureusement… Cela demande évidemment des précautions, des moyens de protection et une stratégie. Or le brouillard demeure. 
Avec les soignants, on comprend que prendre soin, ce n’est pas simplement être généreux, c’est aussi prendre son courage à deux mains. C’est regarder la catastrophe en face. Non pas pour sombrer dans l’imprudence imbécile ou la témérité suicidaire. Non, simplement pour en prendre la mesure dans la réalité, pour la circonscrire, pour la combattre, et ne pas la laisser nous dicter nos actes. Pour ne pas laisser la peur, pour légitime qu’elle soit, prendre le dessus et tout régenter. N’est-ce pas ce à quoi appellent les professionnels de santé, dont le quotidien est fait de ce virus et consorts. Une psychiatre des hôpitaux de Paris expliquait récemment qu’elle constatait une montée des angoisses et craignait la dégradation de la situation avec la rupture du suivi. La société a été placée dans cet état, et nous devons à chacune et chacun des réponses collectives. 
« Tenter, braver, persister, persévérer, s'être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu'elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l'exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise. » Ainsi écrivait Victor Hugo dans Les misérables. On le fera sans présumer de ses forces, sans orgueil. Le moment venu, lorsque la situation sera suffisamment maîtrisée. Non pas pour produire mais pour vivre. Il faudra côtoyer la bête de plus près demain, en s’assurant de son reflux. 
Pour nous dégager de la panique et du repli qui nous voient terrés en attendant la fin de l’orage, nous devons prendre du recul, de la hauteur. Ainsi, nous verrons mieux les contours de l’épreuve qui nous occupe, mais aussi tout le reste, de quoi nous avons été détournés. Préparons-nous à cette cohabitation progressive. Laisser chaque personne gérer seule ce fléau et son angoisse serait la pire des des choses. Il y a là une responsabilité politique. N’attendons pas pour autant qu’on nous dicte les conditions d’en-haut, définissons-les, discutons-les, pour mieux les créer. L’attente dans laquelle on nous a jusqu’ici confinés, pour nécessaire qu’elle ait pu être au démarrage, doit maintenant trouver une issue. S’il ne faut certainement pas prêter le flanc au virus, nous ne pourrons pas indéfiniment lui tourner le dos.