Mise en scène

Un samedi soir à 22h, j’apprenais par une journaliste que l’Assemblée nationale siègerait le mardi pour entendre une déclaration du premier ministre sur le plan de déconfinement, suivie d’un vote de confiance. Encore une belle illustration de la pratique macronienne du pouvoir : au lieu d’ouvrir une discussion, on la ferme. A ce moment-là, après les questions d’actualité, était prévu un débat sur l’application de traçage numérique, qui fait grincer des dents jusque dans la majorité. Le Premier ministre a donc décidé de s’en exonérer, il va venir présenter son plan, nous allons parler au débotté, rien ne va bouger et il va repartir avec un ersatz d’onction parlementaire. Une opération express au lieu d’une construction démocratique, cela ne crée pas les meilleures conditions pour réussir ensemble. C’est une mise en scène grossière pour sauver les apparences.
Dans le même mouvement deux avis du Conseil scientifique ont été rendus publics, dont l’un date du 20 avril, qui préconise la réouverture des écoles en septembre. Le deuxième, le 24 avril, « prend acte de la décision politique prenant en compte les enjeux sanitaires mais aussi sociétaux et économiques ». Lors de l’audition du Professeur Delfraissy, qui préside le Conseil scientifique, je lui avais demandé s’il ne lui semblait pas nécessaire, puisqu’il en avait appelé à la démocratie sanitaire, que ses avis soient publiés en temps réel, pour qu’ils fassent partie du débat et non pas qu’ils soient un instrument au service de l’exécutif. Devant l’insistance de mon collègue Stéphane Peu qui y revenait, il admettait grosso modo que ce ne serait pas une mauvaise chose… Mais la décision ne lui appartient pas. En soi, que les responsables politiques ne se contentent pas d’appliquer des décisions qui seraient prises par des experts à leur place n’est pas malsain. Le rôle des experts est décisif pour instruire le débat et éclairer la décision. Pour autant, c’est la confirmation que les décisions du Président de la République reposaient sur du sable. Et que rien n’avait été fait en amont pour vérifier la validité des perspectives annoncées. Des questions incontournables sont donc toujours sans réponses, ce qui nourrit les craintes et la défiance. Quelles garanties faut-il réunir pour déconfiner ? Jusqu’ici, le gouvernement n’a pas donné le sentiment de se donner les moyens nécessaires et il ne nous a pas permis de nous mettre en situation collectivement. Voilà longtemps qu’il aurait dû préparer le déconfinement, au moment-même où se décidait le confinement. 
L’avis du Conseil scientifique, qui n’est pas la bible, mais qui est quand même très éclairant, ébauche un scénario de poursuite de la stratégie engagée, celle d’une levée « progressive, prudente et monitorée » du confinement, écartant l’hypothèse d’une continuation du confinement strict jusqu’à l’éradication complète du virus d’une part et la sortie totale du confinement pour atteindre l’immunité collective d’autre part. Et il indique six prérequis à réunir : une gouvernance en charge de la sortie de confinement, des hôpitaux et des services de santé reconstitués, des capacités d’identification rapide des cas, un système de surveillance épidémiologique, des critères épidémiologiques, des stocks de protection matérielle pour l’ensemble de la population. Nous allons devoir vivre autrement. Tout cela mérite donc des discussions. 
La première chose à faire serait de mobiliser la société pour réunir ces conditions. Il faut donc un plan clair d’organisation des hôpitaux dans la durée, car ils ne peuvent pas vivre dans cette situation d’urgence permanente sans lendemain. Et il faut s’appuyer sur l’ensemble des professionnels de santé, à commencer par les médecins de ville, à condition de leur en donner les moyens matériels. Il faut massifier les tests en ciblant de manière non minimaliste les personnes à dépister pour limiter au maximum le risque et la circulation. Cela s’organise : il faut une stratégie, en identifiant des lieux et des groupes de personnes à suivre de façon plus sensible. Il faut suivre l’évolution de la situation en temps réel, pour pouvoir réagir à temps et indiquer clairement des seuils d’alerte. Le Conseil scientifique indique par exemple un nombre de reproduction inférieur à 1, qui est la garantie que l’épidémie décroît. Enfin, il faut s’assurer des protections matérielles disponibles, ce qui n’est pas le moindre des problèmes, sans inégalités, et pour lesquelles des règles claires doivent être précisées et expliquées. 
Le gouvernement va devoir se montrer un peu plus à la hauteur de la situation qu’il ne l’a été jusqu’ici. Et le diagnostic sur le risque et les garanties devra être partagé. Il faut entendre le terrain : « c’est le terrain qui a répondu », me disait un acteur local voici quelques jours. Quant à la reprise progressive, elle doit se faire avec notre consentement, c’est-à-dire que nous ne pouvons être considérés comme un troupeau qui suit le berger sans savoir où il va. Et il ne peut s’agir de tout remettre en route comme avant avec quelques précautions de plus. A cet égard, comment peut-on fixer des règles de distanciation et de reprise échelonnée à l’école, et évoquer le volontariat, sans projet éducatif adapté à la période ? Il ne faudrait pas vouloir faire les choses à tout prix. Il y a du travail pour réunir les conditions. Et si la cohérence n’est pas au rendez-vous, il n’y aura pas non plus de cohésion.
L’épisode que nous connaissons révèle plus encore une pratique du pouvoir solitaire à tendance monarchique, qui se rengorge de faux-semblants. Si l’on veut repartir de l’avant, il est urgent de sortir de l’état d’urgence. 
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Je veux avoir aujourd’hui une pensée pour les femmes, les hommes, les enfants déportés dans des camps de concentration et des camps d’extermination nazis. Ce dimanche, malgré le confinement, c’est une journée de commémoration. Nous ne devons pas oublier. Ne pas oublier pour chasser les spectres qui rôdent sous des formes toujours renouvelées. Ne pas oublier parce que cela nous rappelle aux exigences radicales de l’humanité. Ne pas oublier pour honorer celles et ceux qui ont dû affronter ce terrible destin.