Clap de fin

Le temps est venu de refermer ce cahier. Chaque jour depuis le 20 mars, j’ai noirci ses pages pour maintenir le lien et pour rendre des comptes. Ce jour-là, le confinement avait déjà commencé et je rentrais d’une semaine à Paris, où s’examinait le premier texte du gouvernement instaurant l’état d’urgence. Cette semaine, alors que nous nous apprêtons à lever le confinement, le Premier ministre demande au Parlement de prolonger ses pleines pouvoirs pour deux mois encore. Je reprends dès ce lundi le chemin de l’Assemblée où j’ai été désigné membre de la commission spéciale chargée d’examiner une nouvelle batterie d’ordonnances. Une boucle est bouclée. Mais la bataille continue : il y aura demain autant à dire qu’aujourd’hui. Je trouverai à le dire autrement. 
Je veux remercier chaleureusement la Marseillaise d’avoir accueilli ma chronique dans ses pages, lui donnant ainsi un bel écho. Que mon point de vue puisse apparaître chaque jour au côté du travail essentiel de ses journalistes a été une fierté.
 
Ce cahier, je ne l’ai jamais rempli comme on se livre à un exercice de style. Il n’a pas été le lieu d’un récit nombriliste : il a recueilli les attentes, les aspirations, les colères et les espoirs. Il a raconté le pays dans cette tourmente. Il m’a aidé à mettre d’ordre dans mes idées en marchant et à donner une cohérence à mon action. En réalité, chaque jour apportait son lot de nouvelles à rapporter et à commenter. Certains sujets ont fini par faire feuilleton. J’ai voulu y rendre compte du foisonnement des questions posées et de leur complexité, comme de la continuité de l’action et de la réflexion qu’elles appellent. J’ai voulu y montrer que la politique doit être notre affaire à toutes et tous et qu’elles nous est indispensable. Elle ne se contente pas des coups de gueule. Et j’ai pris ce risque d’écrire, de me livrer dans l’urgence d’une chronique à rendre en temps et en heure. En me relisant demain, je me regretterai peut-être cette précipitation. C’est pourtant mon lot quotidien de devoir me prononcer sur le champ, alors que parfois il y a besoin d’en prendre…
Nous devrons redoubler de générosité pour prendre soin.
Comment résumer ce moment ? Nous avons été plongés dans l’inconnu. Cette période a été une épreuve et avec plus ou moins d’intensité, elle restera un traumatisme qui laissera des traces. Il y aura des plaies à panser. Nous devrons redoubler de générosité pour prendre soin. Cette générosité que nous avons vue à l’oeuvre, parce que nous sommes capables de choses formidables qui donnent envie d’aimer l’humanité. 
 
Nous allons au-devant de crises multiples qui couvaient déjà avant l’irruption de la pandémie et nous ne devons surtout pas laisser les forces qui en étaient les fauteuses continuer leur oeuvre. Le virus a passé notre société au révélateur et nous ne devons pas en oublier les leçons. Je rendrai public bientôt un texte à ce propos. Nous devons mettre en chantier l’avenir et il ne s’agit pas de reprendre, de recommencer, de repartir comme avant. Au risque que ce soit en pire. Beaucoup de choses doivent changer et tout montre que nous avons les ressorts pour cela. 
 
Il y aurait beaucoup à dire sur les raisons qui nous ont conduit à cette situation, et j’ai trouvé dans les problèmes surgissant des justifications supplémentaires aux combats menés auparavant. Mais l’état d’urgence a relégué le Parlement dans un cafoutche. Le pays a été gouverné plus encore que d’ordinaire dans un tête à tête entre le Président et le Premier ministre. Et l’on a voulu que nous soyons toutes et tous sagement suspendus aux conférences élyséennes et aux décisions de Matignon, qui tombaient au goutte-à-goutte, dans une cohérence introuvable et sans que soient tracées des perspectives. Nous avons eu le sentiment d’avancer en permanence le nez sur le pare-brise et ce n’est pas fini. Il faut reconnaître que nous avions affaire à une crise inédite, soudaine et immense, mais cela n’explique pas tout. Dans ce contexte, les leviers étaient réduits, mais si toutes les interpellations et questions n’ont pas trouvé de réponse, témoignage du mépris dans lequel est tenu le Parlement, elles étaient dans le paysage et elles attiraient l’attention. Sur nombre de sujets, je crois avoir pu participer à obtenir des résultats et à infléchir les positions gouvernementales. On en trouvera la trace au fil des jours. Le risque était de rester la tête coincée dans le guidon. Il fallait s’occuper de l’immédiat, de la gestion de crise, mais aussi, déjà, de ses conséquences et du monde d’après. C’est pourquoi j’ai mis sur la table des propositions précises et certaines sont encore à venir pour affronter les grandes questions qui surgissent. Je trouverai dans ce foisonnement des ressources considérables pour les combats politiques qui viennent. Et le grand inventaire des biens communs ne fait que commencer.
 
Ce que je crois, c’est que les plans de la macronie dominante sont mis à mal par la crise et tout ce qu’elle a fait émerger. Ils ne vont pas pouvoir mettre à exécution comme ils l’imaginaient leurs plans de remodelage néolibéral de notre société, mais ils ont l’intention de s’accrocher. Alors c’est là, dans ce moment de rupture, de ralentissement, de flottement que doivent surgir des dynamiques nouvelles.
L’une des choses que je redoute, c’est que ce virus vienne éroder nos relations humaines.
Le méditerranéen que je suis est malheureux d’être empêché d’embrasser, d’enlacer, de tenir le bras, de caresser la joue… Toutes ces choses qu’on se dit sans les mots… Mais sans oublier ce que nous avons appris de ce temps de rétrécissement, je veux croire que cela reviendra bientôt. Prenez soin de vous. Prenons soin de nous. A bientôt de vous voir et de vous revoir.