Affaire Vincenzo Vecchi : injustice et graves conséquences

L’acharnement du gouvernement français à contester les décisions de justice prises en faveur du ressortissant italien Vincenzo Vecchi est en train d’ouvrir une brèche en Europe, créant une situation potentiellement dangereuse pour les droits humains. 

Vincenzo Vecchi a été condamné par la justice italienne à 12 ans et demi de prison pour « dévastation et pillage » en 2009. Désormais installé en Bretagne où il a reconstruit sa vie, il doit faire depuis des années avec cette menace. Son seul tort : avoir participé à une manifestation en 2001 à Gênes dans le cadre du contre-sommet du G8, ce qui conduit à l’incriminer pour avoir par sa seule présence apporté son « concours moral ». Faut-il rappeler que cette manifestation réunissant 300 000 personnes, au cours de laquelle Carlo Giuliani a trouvé la mort, avait été violemment réprimée. Depuis, deux juridictions françaises ont refusé d’appliquer le mandat d’arrêt européen émis par l’Italie. Et la cour de cassation, saisie par le procureur de la République, a adressé trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.

Ainsi, le 14 juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu son arrêt. Or, celui-ci indique qu’une autorité judiciaire ne pourrait refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen « au motif que seule une partie des faits composant ladite infraction dans l’État membre d’émission constitue également une infraction dans l’État membre d’exécution ». Dès lors, cet arrêt vient mettre en cause le principe de double incrimination : un État membre peut refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen si le fait concerné ne constitue pas une infraction au regard de sa propre législation. Il étend ainsi le champ d’application du mandat d’arrêt européen aux infractions « non-harmonisées » au niveau européen.

De fait, cet arrêt de la CJUE privilégie clairement la volonté d’harmonisation du droit européen et le principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale au détriment de la protection des droits et principes fondamentaux consacrés à l’article 6 du traité sur l’Union européenne et dans la Charte des droits fondamentaux, ce qui ouvre une question politique.

Car ainsi, peu importe que la condamnation de Vincenzo Vecchi se fasse sur la base de résidus d’une loi structurante du régime fasciste de Mussolini, le code Rocco de 1930. Peu importe que cette condamnation ne se fasse pas sur la base de faits et de preuves. Peu importe que cette condamnation se fasse non pas sur la base des actes commis par la personne mais qu’elle rende une personne présente coupable des actes commis par d’autres. Peu importe que cette condamnation vise à incriminer le simple fait de manifester. Peu importe que les peines prononcées soient hors de proportion. Peu importe que l’écart entre le droit français et le droit italien soit si important. 

La Cour de cassation qui attendait peut-être de la Cour de justice de l’Union européenne un éclairage plus protecteur des droits fondamentaux se trouve désormais, le 11 octobre prochain, face à un choix redoutable pour le citoyen en question, mais également bien au-delà. 

Cet arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, au-delà de l’injustice intolérable pour Vincenzo Vecchi lui-même, pourrait être le déclenchement d’une atteinte gravissime portée à la capacité des Etats à appliquer avec discernement les décisions de justice prises dans d’autres Etats dans le cadre des procédures de mandats d’arrêt européen. Et ce alors même que de plus en plus de pays voient des forces populistes de droite extrême ou d’extrême droite, manifestant trop souvent peu de respect à l’égard de la justice et de son indépendance, accéder au pouvoir.

Ainsi, au regard des conceptions très éloignées du droit qui peuvent exister entre les Etats-membres, des femmes et des hommes pourraient subir mécaniquement, automatiquement, sans contrôle des juges nationaux, des mandats d’arrêt européens pour des faits qu’ici nous ne saurions condamner, comme l’avortement, ou avec des peines qu’ici nous ne saurions prononcer. 

Avec le dessaisissement du juge national sur le contrôle des mandats d’arrêts européens, la France, comme les autres Etats-membres, pourrait être forcée de se rendre complice de décisions injustifiables. Le mécanisme de coopération en matière pénale au sein de l’Union européenne ne saurait se faire à n’importe quel prix et certainement pas au fil de l’eau, sous la pression de gouvernements menant des politiques répressives ou réactionnaires. Vincenzo Vecchi ne doit pas être la victime de ces velléités d’harmonisation. Le contrôle de la protection des droits fondamentaux est indispensable au fonctionnement de la reconnaissance mutuelle et de l’harmonisation de la politique pénale européenne.

En tant que parlementaires, nous demandons au gouvernement de se reprendre pour empêcher que soit appliquée une peine injuste et disproportionnée, si éloignée de l’idée que l’on doit se faire en France de l’État de droit. Nous lui demandons de prendre des initiatives européennes pour que le cadre de la coopération judiciaire au sein de l’Union européenne ne prenne pas cette tournure dangereuse et que le principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale ne se réalise pas au détriment des libertés et droits fondamentaux.

 

Liste des signataires :

Pierre Dharréville député GDR des Bouches du Rhône, Gabriel Amard député LFI du Rhône, Ségolène Amiot députée LFI de Loire Atlantique, Farida Amrani députée LFI de l’Essonne, Éliane Assasi, sénatrice de Seine-saint-Denis présidente du groupe CRCE, Clémentine Autin députée LFI des hauts de Seine, Jérémy Bacchi sénateur CRCE des Bouches du Rhône, Guy Benarroche sénateur Écologiste-Solidarité et Territoires des Bouches du Rhône, Christophe Bex député LFI de Haute-Garonne, Éric Bocquet sénateur CRCE du Nord, Manuel Bompard député LFI des Bouches du Rhône, Soumya Bourouaha députée GDR de Seine-Saint-Denis, Daniel Breuiller sénateur Écologiste - Solidarité et Territoires du Val de Marne, Céline Brulin sénatrice CRCE de Seine Maritime, Florian Chauche député LFI du territoire de Belfort, André Chassaigne député président du groupe GDR, du Puy de Dôme, Sophia Chikirou députée LFI de Paris, Hadrien Clouet député LFI de Haute Garonne, Laurence Cohen sénatrice CRCE du Val de Marne, Catherine Couturier députée LFI de la Creuse, Ronan Dantec sénateur Écologiste - Solidarité et Territoires de Loire Atlantique, Sébastien Delogu député FI des Bouches du Rhône, Thomas Dossus sénateur Écologiste - Solidarité et Territoires du Rhône, Elsa Faucillon députée GDR des Hauts de Seine, Jacques Fernique sénateur Écologiste Solidarité et Territoires du Bas-Rhin, Caroline Fiat députée LFI de Meurthe et Moselle, Perceval Gaillard député LFI de la Réunion, Arnaud Le Gall député LFI du Val-d’Oise, Fabien Gay sénateur CRCE de Seine-Saint-Denis, Guillaume Gontard sénateur, Président du Groupe Écologiste - Solidarité et Territoires de l’Isère, Jérôme Guedj député socialiste de l’Essonne, Michelle Gréaume, sénatrice CRCE du Nord, David UIRAUD député LFI du Nord, Mathilde Hignet députée LFI d’Ile et Vilaine, Sébastien Jumel député GDR de Seine-Maritime,  Andy Kerbrat, député LFI de Loire-Atlantique, Joël Labbé sénateur Écologiste - Solidarité et Territoires du Morbihan, Bastien Lachaud député LFI de la Seine-Saint-Denis, Julie Laernoes députée écologiste de Loire atlantique, Gérard Lahellec, Sénateur CRCE, Maxime Laisne député LFI de Seine et Marne, Pierre Laurent sénateur CRCE de Paris, Elise Leboucher, députée LFI de la Sarthe, Jean Paul Lecoq député GDR de Seine Maritime, Murielle Lepvraud députée LFI des Côtes d’Armor, Marie-Noëlle Lienemann sénatrice CRCE de Paris, Frédéric Maillot député GDR de La Réunion, Monique de Marco sénatrice Groupe Écologiste - Solidarité et Territoires de Gironde,  Frédéric Mathieu député LFI d'Ille-et-Vilaine, Paul Molac député LIOT du Morbihan, Yannick Monnet député GDR de l’Allier, Danièle Obono députée LFI de Paris, Pierre Ouzoulias sénateur CRCE des Hauts de Seine,  Paul Toussaint Parigi sénateur Écologiste - Solidarité et Territoires de Haute-Corse, Stéphane Peu député GDR de Seine Saint Denis, François Piquemal député LFI de la Haute Garonne, Raymonde Poncet-Monge sénateur Écologiste - Solidarité et Territoires du Rhône, Thomas Portes député LFI de Seine Saint Denis,  Adrien Quatennens député LFI du Nord,  Jean Hugues Ratenon député LFI de la Réunion, Melvin Richon députée LFI de la Seine-Saint-Denis, Fabien Roussel député GDR du Nord, Aurélien Saintoul député LFI des Hauts de Seine,  Michel Sala député LFI du Gard, Daniel Salmon sénateur Écologiste - Solidarité et Territoires d’Ille et Vilaine, Nicolas Sansu député GDR du Cher, Pascal Savoldelli sénateur CRCE du Val de Marne, Ersilia Soudais députée LFI de la Seine et Marne, Anne Stambach-Terrenoir députée LFI de Haute Garonne, Aurélien Taché député écologiste du Val-d'Oise, Bénédicte Taurine députée LFI de l’Ariège,  Jean-Marc Tellier député GDR du Pas de Calais, Marie-Claude Varaillas sénatrice CRCE de Dordogne, Mélanie Vogel sénatrice Écologiste - Solidarité et Territoires des Français établis hors de France, Léo Walter député LFI des Alpes-de-Haute Provence, Jiovanny William député GDR de Martinique, Hubert Wulfranc député GDR de Seine-Maritime. 

 

Pour en savoir plus sur l'affaire Vincenzo Vecchi, rendez-vous sur le site du Comité de soutien à Vincenzo Vecchi.