Les conséquences de la réforme de l'assurance chômage

Discussion générale lors de la semaine de contrôle sur les conséquences de la réforme de l'assurance chômage.

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Monsieur le Président,

Madame la ministre,

Chères et chers collègues,

« La protection sociale est donc un mécanisme indispensable pour apporter un soutien aux individus pendant la crise en leur donnant accès à des soins de santé et en les protégeant contre les pertes massives de revenus résultant du ralentissement économique le plus profond depuis la Seconde Guerre mondiale, écrivait voici quelques jours l’Organisation Internationale du Travail. En accélérant la reprise grâce à sa contribution positive à la consommation et à la demande globale, la protection sociale peut également agir comme un stabilisateur social et économique. » Elle appelle notamment les pays en développement à « combler les lacunes de la protection sociale pour prévenir de futures crises ». Et nous, nous faisons le chemin inverse. Nous dégradons notre système de sécurité sociale. Nous le dégradons alors même qu’il faudrait encore l’upgrader, j’emploie des mots des Start-upers pour me faire comprendre. 

La crise qui s’annonce risque de détruire de nombreux emplois. Il y a pourtant du travail pour toutes et pour tous pour faire face aux besoins et relever les défis qui nous attendent. Nous avons besoin d’inventer, devant l’exigence d’amortir la crise et d’accélérer la transition écologique. 

Dans l’urgence, s’il n’a pas garanti le niveau de revenus des salariés, le gouvernement a étendu le dispositif d’indemnisation du chômage partiel et technique. Mais déjà, vous en amorcez la décrue et nous pensons qu’il est temps d’imaginer une véritable sécurisation sociale des parcours professionnels dans la durée avec des dispositifs de garantie nouveaux qui font l’objet d’une proposition de loi que nous placerons à l’ordre du jour de notre journée d’initiative parlementaire le 18 juin prochain. 

Mais déjà, il faut s’appuyer sur l’Assurance-chômage et au moins réparer les méfaits qu’elle a subis juste avant le surgissement du virus. 

Le gouvernement s’est jusqu’ici refusé à revenir sur cette réforme qu’il a imposée aux acteurs sociaux qui gèrent l’UNEDIC. 

Il a simplement déclenché le report du 1er avril au 1er septembre de l’entrée en application des nouvelles règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi et suspendu la mesure sur la dégressivité des allocations chômage pour les cadres. C’est un début d’aveu de la nocivité de ces dispositions, nocivité décuplée par la crise. 

Pourtant, il ne s’agit que d’un report et le premier volet de la réforme de l’assurance chômage, entré en application le 1er novembre 2019, est, lui, toujours en vigueur. Il prévoit un durcissement des conditions d’accès à l’allocation chômage pour les salariés qui doivent désormais avoir travaillé 6 mois sur une période de référence de 24 mois pour bénéficier d’une ouverture de droit, quand la règle précédente exigeait seulement une durée minimale de 4 mois sur les 28 derniers mois. De même, les conditions de rechargement des droits ont été fortement durcies imposant une période travaillée de 6 mois contre 150 heures auparavant. 

Ces règles font sortir dès aujourd’hui de l’indemnisation chômage des centaines de milliers de travailleurs : intérimaires, saisonniers, travailleurs enchaînant des contrats très courts dans les secteurs de la restauration, de l’hôtellerie ou la culture… L’étude d’impact de l’Unédic de septembre 2019 estimait que 710 000 personnes seraient concernées au cours de la première année de mise en œuvre. 

Avec la crise sanitaire et économique que nous connaissons, c’est un véritable drame social qui s’annonce. Le droit à l’indemnisation du chômage doit au contraire être suffisamment fort dans les périodes de récession économique pour jouer son rôle d’amortisseur et de protection à l’égard des plus fragilisés. 

Tous ces constats appellent à un retrait total de la réforme de l’assurance-chômage. Et l’ouverture sans plus attendre de négociations avec les organisations syndicales et patronales pour l’élaboration d’une nouvelle convention Unédic permettant de renforcer les droits au chômage des travailleurs et des travailleuses. 

Permettez-moi de citer le premier ministre au moment de l’annonce : "Les règles actuelles datent de 2009, c'est-à-dire d'une époque où il fallait amortir le choc de la crise économique et financière. Aujourd'hui, la conjoncture est meilleure. Il est donc normal que les règles d'accès changent aussi ». Avez-vous le choix que de revenir sur cette réforme qui a déjà produit son lot de dégâts ? N’est-il pas hors du réel de continuer à tabler sur 4,5 milliards d’euros d’économies d’ici à 2022 ? 

Vous pensiez que ces mesures allaient mécaniquement réduire le nombre de chômeurs de 150 000 à 250 000 sur trois ans. Vous disiez qu’il faudrait « travailler davantage pour ouvrir des droits à l’assurance chômage ».

Vous faisiez fausse route en pensant que le durcissement des règles réduirait le chômage, comme s’il n’était pas largement subi. Et vos arguments tombent avec la crise. Pour être en accord avec vous-mêmes, vous devez adapter vos choix à la situation nouvelle. 

Et nous plaidons pour que l’intention affichée à l’époque assez mollement, et contredite par ailleurs, de lutter contre les contrats courts, se renforce dans la période plutôt que de s’étioler pour ne pas encourager la spirale de la crise mais au contraire pour la juguler. Il conviendrait donc de renoncer à favoriser la précarisation que vous avez inscrite dans la loi pourtant diverses mesures d’urgence et de non urgence adoptée la semaine dernière.

La relance ne doit pas se faire au prix du déclassement social, de la dégradation du travail, de la pression sur les salariés, du chômage et de la précarité. La relance ne pourra être que sociale. 

Voici quelques jours, avec ma collègue Michèle de Vaucouleurs, nous présentions le résultat d’une mission sur les solidarités pendant la période, faisant le constat d’une pauvreté et d’une précarité exacerbée, d’une crise qui a fait basculer un grand nombre de personnes dans la pauvreté. Des enfants, des femmes, des hommes ont faim, ils ont perdu les rênes sur leur vie. Est-ce cela que nous voulons voir se poursuivre demain avec ses développements ? L’Association des départements de France s’alarme, sachant qu’elle va renvoyer vers le RSA nombre de femmes et d’hommes qui bénéficiaient jusqu’ici de leurs droits à l’assurance-chômage. 

Le nombre d'inscriptions à Pôle emploi a augmenté d'un peu plus de 246 000, soit de 15%, au mois de mars. 

Nous aurons de fait besoin d’un service public de l’emploi pleinement en capacité d’accompagner les demandeurs et demandeuses dans la période qui vient. Nous voulons saluer la mobilisation des agents qui ont assuré le lien si précieux pendant le confinement. Ils font partie, elles font partie de ces métiers mal reconnus et pourtant si essentiels à notre vie sociale. Il faut renforcer Pôle emploi dans ses missions et tirer les leçons de l’expérience de ces dernières semaines. 

Nous défendons une société des droits, une société solidaire, une société qui respecte l’humain.

C’est une vieille idée que l’assurance-chômage, avec les caisses professionnelles mutuelles, mais une idée assez récente dans sa mise en forme unifiée. Depuis 1958, elle protège les salariés lorsqu’ils perdent leur emploi en leur versant une allocation indexée sur leur ancien salaire et les accompagne vers le retour à l’emploi. Elle s’inscrit dans une logique de salaire continué, reconnaissant ainsi la force de travail, la qualification de celles et ceux qui sont temporairement privés d’emploi. C’est un risque que chacun et chacune court dans sa vie active. Et l’on s’assure ainsi mutuellement face à ce risque. C’est une part des cotisations sociales que certains nomment charges pour les discréditer. 

Vous devez revenir sur votre réforme et ouvrir une nouvelle discussion avec les organisations syndicales. L’assurance chômage est une composante essentielle de la protection sociale qu’il faut d’autant plus renforcer que la crise guette. 

Et je veux pour finir indiquer la nécessité de prendre en compte dans les mesures la situation des intermittents du spectacle (l’année blanche pour les intermittents doit correspondre à un renouvellement de douze mois tant que le calcul des heures demeure affecté par la crise) et plus largement d’agir en faveur de l’ensemble des artistes-auteurs et travailleurs-travailleuses du monde de la culture pour lesquels des mesures adaptées doivent être prises. 

Dans sa recommandation numéro 205 datant de 2017, l’Organisation internationale du travail invitait ses membres à « dans leur réponse aux situations de crise », à « s’efforcer de garantir une sécurité élémentaire de revenu, en particulier aux personnes que la crise a privées de leur emploi ou de leurs moyens de subsistance », « élaborer, rétablir ou améliorer des régimes complets de sécurité sociale et d’autres mécanismes de protection sociale en tenant compte de la législation nationale et des accords internationaux ». Et pour « prévenir les crises, permettre le redressement et renforcer la résilience », elle les invitait à « établir, rétablir ou maintenir des socles de protection sociale et s’efforcer de combler les lacunes de leur couverture ». Notre pays est concerné. faisons-le. Saisissons-nous de ce moment pour inventer la protection sociale de notre temps face à la sauvagerie du marché, de la finance et de la crise.