Amélioration de l'encadrement des centres de santé

Projet de loi - Explication de vote - 30 novembre 2022

 

Les centres de santé sont des inventions sociales qui ont révolutionné l’accès aux soins et la pratique de la médecine en ville. Pour faire face aux besoins, des municipalités, des mutuelles et des médecins se sont organisés, en inventant des réponses nouvelles : une médecine coordonnée, une prise en charge globale des patients, des dynamiques de prévention, la pratique du tiers payant généralisé. Les centres de santé sont de grandes inventions sociales et pourraient constituer une partie de la réponse à la désertification médicale, mais ils ne sont pas à la mode.


Alors comment ne pas être en colère lorsqu’en outre, des charlatans utilisent cette appellation pour commettre leurs délits et plonger des patients dans une situation dramatique ? Comment ne pas s’alarmer du fait que cela ait été possible, et que les effectifs des ARS ou de la sécurité sociale, notamment ceux dédiés au contrôle, soient si insuffisants ? Il faut dire que le charlatanisme, qui n’a pas d’autre objectif que le profit, peut prendre des formes très variables. La question des moyens consacrés au contrôle demeure dans l’ombre. Je sais que ce n’est pas ce que vous pensez puisque vous avez dit le contraire lors de votre intervention, madame la rapporteure – j’en profite pour saluer votre travail –, mais tout cela amène d’une certaine manière à stigmatiser les centres de santé, comme s’ils étaient par nature des établissements à risque.


Je regrette que nous n’ayons pas saisi cette occasion pour relancer une dynamique de création et de développement des centres de santé. Vous vantez les mérites de la liberté inaliénable d’installation pour les médecins libéraux, et vous établissez ici un agrément pour l’exercice collectif. Nous ne nous opposons pas à cette idée, mais nous nous interrogeons sur les critères qui vont fonder l’octroi de cet agrément, en particulier en ce qui concerne la compatibilité du projet « avec les objectifs et besoins définis dans le cadre du projet régional de santé », comme mentionné à l’article 1er, ce qui donne lieu à un pouvoir d’appréciation discutable. Or le code de la santé publique permet déjà au directeur général de l’ARS, en cas de manquement, de prononcer une suspension ; les sanctions devraient d’ailleurs faire l’objet d’une publication par les ARS.


Vous créez ensuite un comité médical qui vient s’intercaler entre la responsabilité pénale du gestionnaire et la responsabilité individuelle du praticien. Cela revient à créer une instance à vrai dire un peu floue, parallèle aux CSE – comités sociaux et économiques –, ne regroupant qu’une partie du personnel – les médecins –, alors même que l’esprit collectif et le retour critique en vue de l’amélioration des pratiques sont déjà présents par nature dans les centres et inscrits dans l’accord national des centres de santé.


J’ai déposé il y a quelque temps une proposition de loi visant à renforcer les droits des salariés sur l’organisation du travail, devant leur permettre de se réunir par collectifs de travail dans l’entreprise, et je crois qu’il faut creuser dans cette direction, mais faut-il vraiment le faire de la sorte ?


Enfin, en 2018, votre majorité a autorisé la création de centres à but lucratif, venant ainsi dénaturer l’esprit des centres de santé. Cela ne concourt pas à installer la confiance : une telle mesure sert la marchandisation de la santé et organise la concurrence entre de grands groupes privés et d’autres acteurs dans le domaine de l’offre de soins de ville, dentaires et optiques. Nous savons que cela ne répondra pas aux besoins. Nous ne voulons pas entraver le parcours de cette proposition de loi, mais nous souhaitons que ces questions puissent être entendues par la suite.

 

L'intervention en vidéo

 

 

 

Agression de l'Arménie par l'Azerbaïdjan

Résolution - Discussion générale - 30 novembre 2022

 

L’Arménie, le peuple arménien, la culture arménienne ont déjà failli disparaître au cours de l’histoire. Leur existence est contestée jusque dans le refus de reconnaître cette histoire tragique – je pense au génocide arménien. La faiblesse inquiétante des institutions internationales, l’insuffisance des volontés de règlement pacifique des conflits, l’indigence des réactions des États sont directement en cause dans la persistance des tensions. Nous connaissons pourtant la brutalité des nationalismes qui continuent de sévir dans la région.


En 2020, le monde de l’arménité a subi une agression guerrière, meurtrière, de la part de l’Azerbaïdjan dans l’enclave du Haut-Karabakh, constituée en République d’Artsakh depuis 1991. Depuis lors, dans les territoires conquis, c’est une opération d’effacement culturel et de nettoyage ethnique qui est à l’œuvre et les velléités nationalistes ne s’arrêtent pas là. Nul ne peut nier que ce territoire du Caucase est habité par des populations arméniennes. Celle de l’Artsakh a manifesté par deux référendums son désir de vivre libre et en paix. La France doit appeler à engager les processus de reconnaissance prévus par le droit international pour protéger et apaiser. Elle est d’autant plus fondée à le faire qu’elle appartient au groupe de Minsk, créé voilà trente ans maintenant pour créer les conditions d’une résolution pacifique et négociée. L’absence de cadre international ajusté à la réalité du pays fragilise l’ensemble de la région. Et il faudrait peut-être que l’ONU elle-même étudie l’opportunité d’une interposition.


À l’instar de celles de Robert Guédiguian et Simon Abkarian, des voix s’élèvent pour alerter sur la menace de disparition et sur l’ignorance qui entoure la cause arménienne. Selon le réalisateur du
Voyage en Arménie , d’ Une histoire de fou et de L’Armée du crime , « l’espèce arménienne a survécu à de multiples catastrophes. Pour cela elle a dû se disperser et renoncer à ses terres ancestrales. Il ne lui reste que l’Arménie du Caucase et le Karabakh au milieu de l’Azerbaïdjan… » Il compare l’Arménie à un enfant seul dans la cour de récréation.

Loin des feux médiatiques, les agressions se font de plus en plus menaçantes, dans le contexte d’une volonté de domination étendue du gouvernement turc sur la région, dont le gouvernement de l’Azerbaïdjan est l’une des pièces. Le rôle de la Russie, quant à lui, est trouble. Aussi l’Arménie doit-elle être protégée de multiples velléités d’asservissement. Mais les intérêts en question dépassent le simple cadre d’un conflit régional. L’Europe achète aujourd’hui du gaz azerbaïdjanais et enrichit par conséquent ce régime autocratique, comme si le gaz d’Azerbaïdjan, qui envahit l’Arménie, était plus acceptable que celui de la Russie, qui envahit l’Ukraine.

L’hypocrisie est un poison pour notre parole internationale.

Parmi les intérêts en jeu, on ne saurait éluder ceux liés au commerce des armes. La Russie, Israël et la France vendent des armes à l’Azerbaïdjan. Notre pays caracole depuis plusieurs années en tête des vendeurs d’armes du monde. Pour être si haut dans ce terrible classement, sommes-nous bien regardants sur nos clients et sur l’usage des armes ? En 2019, la France a vendu pour 150 millions d’euros d’armes à l’Azerbaïdjan, alors même qu’existe un embargo sur les ventes d’armes à ce pays ainsi qu’à l’Arménie depuis l’entrée en vigueur en 1993 de la résolution 853 du Conseil de sécurité des Nations unies. Si nous ne dénonçons pas ces ventes d’armes, alors les larmes que nous versons risquent bien d’être des larmes de crocodile.  

Entendez ce qu’il y a de colère contenue dans ma voix. On ne peut pas, d’une part, contribuer à financer le régime de Bakou en lui achetant du gaz, lui vendre des armes, et, d’autre part, pleurer le sort des Arméniens.Faut-il se prêter à ce double jeu ? Je pose ici cette question afin qu’elle soit publique. Et j’affirme que malgré cela nous voterons cette proposition de résolution. Les souffrances du peuple arménien et les horreurs de la guerre nous obligent à nous hisser à la hauteur des enjeux, à affirmer à tout moment notre totale solidarité avec ceux qui meurent et qui souffrent, à pousser en chaque occasion la France à prendre une position forte et si possible cohérente.


Je l’avais déjà dit le 3 décembre 2020 à l’occasion d’une proposition de résolution pour la protection du peuple arménien : « La guerre ne résout rien, elle n’est qu’une défaite du dialogue, de la politique, de l’humanité. » Nous sommes comptables de ce que nous faisons ou ne faisons pas pour écarter son spectre. À l’époque, on nous avait opposé l’exigence de neutralité. Or cette neutralité ne règle rien et encourage les velléités bellicistes. La proposition de résolution a donc le mérite d’envoyer un signal qui n’est pas neutre.

Nous disons avec force que nous voulons le respect du peuple arménien, que nous tenons son apport à l’humanité comme aussi essentiel que celui des autres, que nous voulons la liberté, le droit pour le peuple arménien, la paix pour les peuples d’Arménie, d’Azerbaïdjan, de Turquie, pour les peuples d’Ukraine, de Russie. Pour les peuples du monde entier, nous voulons la paix. 

 

L'intervention en vidéo 

 

 

 

 

 

 

Droit de préemption des salariés

Proposition de loi n°4952 - 25 janvier 2022

La présente proposition de loi vise à créer un droit de préemption des salariés en cas de cession d’entreprise.

La loi n° 2014‑856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, dite « Hamon » prévoit, entre autres choses, un dispositif d’information à destination des salariés sur les possibilités de reprise de la société lorsqu’elle n’excède pas 250 salariés. Cette information porte, notamment, sur les conditions de reprise, les obligations juridiques, les aides disponibles et les orientations générales de l’entreprise.

Ce droit d’information est indispensable puisqu’il constitue le préalable à toute reprise d’entreprise. Toutefois, il n’est pas suffisant, et les salariés doivent être plus largement accompagnés, notamment par l’ouverture d’un nouveau droit de préemption consacré dans le code du commerce.

Selon la BPI‑France, 50 877 cessions‑transmissions auraient eu lieu en 2016, concernant 770 000 salariés. Aussi, 855 000 salariés (PME et ETI confondues) auraient pour dirigeant des individus âgés de 65 ans ou plus. En 2018, l’INSEE indiquait que « 34 800 entreprises sont susceptibles d’être transmises au cours des prochaines années suite au départ à la retraite de leur dirigeant ». Pour la moitié d’entre elles, la question de la cession se poserait dans un avenir très proche puisque leur dirigeant serait âgé de 60 ans ou plus.

L’INSEE estime qu’un tiers des transmissions ne seraient pas réussies. En effet, ce type de projet nécessite une préparation, parfois des années en amont. De plus, un certain nombre d’entreprises ne trouveraient pas de repreneurs. Dans certains cas, trop nombreux, les rachats se soldent par des restructurations et des licenciements.

L’enjeu de la transmission et des reprises d’entreprise est majeur, pour le développement économique, l’emploi et l’attractivité des territoires. En sus de ces aspects, la reprise concerne également la préservation du savoir‑faire et du tissu social local. En somme, si l’enjeu économique est essentiel, l’argument culturel l’est aussi.

Toutefois, les salariés sont trop souvent éloignés des dispositifs de reprise alors qu’ils devraient y être davantage associés. Ils connaissent l’entreprise et l’outil de production, et sont conscients des améliorations à envisager, des difficultés à surmonter.

La forme économique la plus appropriée est la société coopérative (SCOP), et ce pour plusieurs raisons.

  1. Premièrement, la pérennité des entreprises coopératives est plus importante (77 % contre 65 % pour l’ensemble des entreprises).
  2. Deuxièmement, c’est une garantie supplémentaire quant au maintien de l’emploi sur le territoire. Les salariés‑coopérateurs n’ont pas d’intérêt à délocaliser les activités.

 

Plus largement, les sociétés coopératives tendent à raffermir la participation, l’égalité, et l’éducation populaire.

 

Cette proposition s’inspire de ce qui existe déjà, notamment en matière de logement. Lorsqu’un propriétaire prévoit la vente d’un bien, il en avise le locataire qui dispose de la priorité sur tout autre éventuel acquéreur. Cette priorité vaut également pour le locataire titulaire d’un bail commercial ou artisanal, ou l’exploitant d’un bien agricole. Tout projet de cession constitue de ce fait une offre de vente pour le locataire.

En cela, cette proposition de loi ne constitue pas une entrave à la liberté d’entreprendre ni au droit de propriété inscrit dans la Constitution.

La préemption diffère fondamentalement de l’expropriation : le vendeur se trouve seulement et exclusivement dépourvu de sa liberté quant au choix de l’acheteur. Cette limitation est donc réduite ; le Conseil constitutionnel admet qu’il puisse en être ainsi concernant le droit de disposer librement de ses biens « Il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et à la liberté contractuelle, qui découle de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi . »

 

Notre proposition de loi confère un droit nouveau, tout en fournissant les conditions de réalisation par le biais de plusieurs dispositifs d’accompagnements et d’aides à la préparation d’un projet de reprise.

 

L’article 1er vise à créer un droit de préemption des salariés dans les entreprises employant jusqu’à 249 salariés. Concrètement, quand un employeur trouve un acquéreur, il doit en informer les salariés et expliciter le prix et les conditions de vente. Durant les quatre mois, les salariés pourraient se substituer au nouvel acquéreur à condition de formuler une volonté de reprise, conformément aux modalités prévues par le contrat précédemment convenu entre les parties.

L’article 2 prévoit d’améliorer le droit d’information des salariés, en garantissant une heure d’information syndicale par mois. L’accès et l’examen des données économiques et sociales de l’entreprise seraient autorisés.

L’article 3 vise à étendre le droit de préemption des salariés aux entreprises de plus de 1 000 salariés. La « loi Florange » du 24 mars 2014 prévoit l’obligation de recherche d’un repreneur, d’en informer les salariés, lorsque le propriétaire d’une entreprise souhaite fermer un site et procéder à un licenciement collectif. Nous souhaitons que le Comité social et économique puisse se constituer en repreneur.

L’article 4 vise à interdire les licenciements économiques pour les entreprises qui dégageraient des dividendes. Cette mesure supplémentaire entend lutter contre les fermetures de site et encourager la reprise par les salariés : tout vendeur d’une entreprise rentable serait contraint de céder son entreprise s’il souhaite s’en libérer, en priorité aux salariés, s’ils présentent un projet viable.

 

 

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Éradication des déchets contenant de l'amiante

Proposition de loi n°4953 - Création d'un pôle public d'éradication des déchets contenant de l'amiante.

Mesdames, Messieurs,

Depuis le 1er janvier 1997, en application du décret n° 96‑1133 du 24 décembre 1996, sont interdites « la fabrication, l’importation, la mise sur le marché national, l’exportation, la détention en vue de la vente, l’offre, la vente et la cession à quelque titre que ce soit de toutes variétés de fibres d’amiante et de tout produit en contenant ».

Cependant, les risques de contamination des personnes comme de l’environnement, sont toujours présents. L’Agence nationale de santé publique (ANSP) estime que l’amiante sera responsable de 100 000 décès d’ici à 2050. L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) confirme que l’amiante reste présent dans de nombreux équipements et bâtiments et alertes sur les risques que courent les professionnels des métiers de second oeuvre. Les associations de défense des victimes de l’amiante indiquent que 90 % des bâtiments construits avant 1997 contiendraient de l’amiante, 15 millions de logements construits entre 1960 et 1990 seraient concernés par l’amiante dont 3 millions de logements sociaux et qu’au total 20 millions de tonnes d’amiante subsisteraient en France.

Aux risques sanitaires se conjuguent des impacts environnementaux liés au stockage des déchets contenant de l’amiante, classés parmi les déchets dangereux tels que définis dans l’article R. 541‑8 du code de l’environnement.

L’avis n° 2015/C 251/03 du 28 janvier 2015 adopté par le comité économique et social européen sur le thème « Éradiquer l’amiante de l’Union européenne » invite les États membres à lancer des plans d’action et des feuilles de route pour l’éradication de l’amiante et formule des recommandations dans ce sens. Pour ce qui concerne la mise en décharge des déchets contenant de l’amiante, il indique : « La création de décharges pour les déchets d’amiante n’est qu’une solution provisoire au problème, qui est ainsi remis entre les mains des générations futures, car les fibres d’amiante sont pratiquement indestructibles. Il convient de promouvoir la recherche et l’innovation pour mettre en œuvre des technologies durables pour le traitement et l’inertage des déchets contenant de l’amiante en vue de leur recyclage, et de leur réutilisation en toute sécurité et de la réduction de la mise en décharge de ces déchets. ». Le même avis encourage les États membres à développer la recherche en la matière. Ainsi, l’université de Montpellier a mis à jour un procédé de traitement des déchets contenant de l’amiante permettant l’éradication définitive de la fibre.

 

Le désamiantage et l’élimination définitive de l’amiante demandent un investissement important de la part des pouvoirs publics, seuls capables de répondre aux enjeux sanitaires et environnementaux et de garantir l’intérêt général. Cet investissement est à mettre en rapport avec les coûts liés aux conséquences de l’exposition de 2 millions de salariés, dont la moitié dans le Bâtiment Travaux Public (BTP), et avec l’impact écologique.

 

Les collectivités locales sont régulièrement confrontées à des dépôts sauvages de déchets contenant de l’amiante sur leurs territoires. Cette situation représente un risque potentiel pour les populations et engage la responsabilité des collectivités.

L’article 1er de la présente proposition de loi vise à la création d’un pôle public d’éradication de l’amiante qui interviendra dans toute la chaîne du processus de désamiantage, de la collecte des déchets jusqu’à leur élimination. Ce pôle public, constitué en Établissement public à caractère industriel ou commercial (EPIC) répondra à un plan d’action national d’éradication de l’amiante tel que le préconise dans ses recommandations l’avis n° 2015/C 251/03 du comité économique et social européen. Il rassemblera des acteurs du secteur dont l’intervention sera inscrite dans un cahier des charges.

Son conseil d’administration pourra être composé d’élus locaux, parlementaires, d’organisations représentatives des personnels, d’organisations syndicales des salariés, Comité social et économique (CSE), des associations de défense des victimes de l’amiante et des maladies professionnelles, ainsi que des associations de protection de l’environnement.

 

 

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Lutter contre les inégalités salariales

Proposition de loi n°4593 visant à lutter contre les inégalités salariales - 19 octobre 2021

 

Mesdames, Messieurs,

La question de la limitation des écarts de revenu n’est pas nouvelle. Déjà au début du XXe siècle, le banquier J.P. Morgan préconisait un écart salarial au sein des entreprises de 1 à 20, et refusait de prêter aux sociétés dont le dirigeant ne respectait pas ce principe. En 2021, ce sujet est toujours plus d’actualité au regard des rémunérations perçues par les dirigeants des grandes entreprises. Selon un rapport d’Oxfam de 2020, les patrons du CAC 40 ont gagné en moyenne 107 fois plus que le salaire moyen de leurs employés, et l’écart entre la rémunération du PDG et celle de ses salariés a augmenté de 27 % entre 2009 et 2018.

Depuis la crise économique des subprimes, sur fond de financiarisation de l’économie, les rémunérations des dirigeants des très grandes entreprises se sont envolées, alimentant régulièrement l’actualité et suscitant de vives polémiques. La crise sanitaire n’a pas enrayé cette évolution, bien au contraire. En 2021, la rémunération annuelle moyenne d’un PDG du CAC 40 pourrait atteindre 5,4 millions d’euros, soit une hausse de 1,6 million d’euros par rapport à 2020. D’après le cabinet de conseil Proxinvest, la part fixe de la rémunération des dirigeants du CAC 40 ne représentait plus que 21,6 % de leur rémunération totale en 2018, alors que celle indexée sur la performance du cours de bourse de leur entreprise atteignait plus de 42,6 % du total, contre 24 % en 2009. Outre leur caractère disproportionné, ces rémunérations apparaissent en complète déconnexion avec l’état de santé réel de l’entreprise.

Parallèlement, la majeure partie des travailleurs de notre pays subit une stagnation de son pouvoir d’achat en raison de salaires progressant au ralenti depuis le choc économique de 2008. Cette stagnation a eu pour conséquence une dévalorisation des métiers les plus utiles socialement, révélés à la faveur de l’épidémie de covid 19. Ainsi, selon l’OFCE, le salaire mensuel de base de l’ensemble du secteur marchand n’a progressé qu’au rythme annuel de 0,4 % entre 2010 et 2018 en prenant en compte l’inflation. De même, en l’absence d’une revalorisation massive qui s’impose pourtant, le SMIC horaire brut a augmenté timidement de 14 % en dix ans, passant de 9 euros au 1er janvier 2011 à 10,25 euros au 1er janvier 2021. Une fois corrigée de la hausse des prix, sa progression est restée limitée sur la même période à 4 %.

Il résulte de ces deux phénomènes une aggravation rapide des inégalités de revenus en France et ailleurs. Un constat étayé par l’économiste Thomas Piketty en ces termes : « Depuis trente ans, les États‑Unis et la France, connaissent une explosion sans précédent des inégalités. C’est un phénomène nouveau et massif, c’est la première fois qu’il y a un tel décrochage entre les très hauts revenus et le revenu médian ».

A mesure qu’elles se développent, ces inégalités de revenus deviennent de plus en plus intolérables pour nos concitoyens, contribuant à saper la cohésion sociale et la promesse d’égalité au fondement de notre pacte démocratique. Dépourvues de justification économique, elles sont aussi révélatrices de l’indécence dont font preuve les dirigeants des plus grandes entreprises qui persistent dans la spéculation et la course folle à la rémunération la plus élevée. Comme le notent, Gaël Giraud et Cécile Renouard, auteurs de l’ouvrage Le Facteur 12, Pourquoi il faut plafonner les revenus : « Contrairement à l’opinion répandue parmi les élites françaises, un salaire élevé n’est pas synonyme d’efficacité accrue. Il n’existe pas de marché parfait et complet des hautes rémunérations, qui allouerait équitablement le risque et le capital. De plus, le travail socialement utile n’est pas valorisé à sa juste mesure. Dès lors, les hautes rémunérations ne sont fixées ni selon la logique d’un marché du travail concurrentiel, ni en fonction de la logique contributive. »

Dans ce contexte, il paraît vain de parier sur la « théorie du ruissellement », qui relève d’un mythe néolibéral, pour atteindre une régulation naturelle des inégalités de revenus. C’est pourtant sur ce fondement que le Gouvernement a choisi dès 2017 de multiplier les mesures fiscales en faveur des plus fortunés, avec la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune ou l’instauration de la flat tax. Loin de répondre aux légitimes colères qui se sont exprimées à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes, cette politique a contribué à creuser le fossé entre les 1 % les plus riches et le reste de la population.

De même, il serait illusoire de s’en remettre à la bonne volonté patronale pour limiter les écarts de rémunération au sein des entreprises : les recommandations prônées par le code AFEP‑MEDEF en matière de gouvernance, reposant sur le seul engagement volontaire des dirigeants et n’ayant donc pas de valeur contraignante, sont clairement insuffisantes.

Ces constats imposent aujourd’hui l’intervention du législateur. C’est le sens de cette proposition de loi, qui entend limiter les écarts de rémunération au sein de toutes les entreprises publiques et privées dans un rapport de 1 à 20. Cette régulation des écarts de revenus représente à la fois un enjeu de justice sociale, un enjeu économique et un impératif écologique.

Notre proposition se fonde tout d’abord sur une exigence de justice sociale en permettant une meilleure distribution des richesses dans la société. Encadrer les rémunérations contribue d’une part à limiter les écarts indécents entre les rémunérations et d’autre part de tirer vers le haut les plus bas salaires. Il s’agit tout autant de limiter les plus hautes rémunérations que de permettre à tous les revenus au sein de l’entreprise de suivre une tendance haussière.

Il s’agit en outre d’un impératif économique. En effet, le constat d’un lien entre l’enrichissement continu des plus riches et l’appauvrissement des plus pauvres est désormais établi et va à l’encontre de la théorie dite du ruissellement. Comme le rappellent Gaël Giraud et Cécile Renouard dans leur ouvrage précédemment cité, un partage des richesses plus juste aurait un effet positif sur la demande interne : « un euro dans les mains d’un ménage aisé n’est pas dépensé de la même manière, en moyenne, qu’un euro entre les mains d’un ménage modeste. Là où ce dernier dépensera la totalité de cet euro pour vivre, le premier n’en dépensera qu’une fraction. Une fraction d’autant plus petite qu’il est riche. Le reste ira s’additionner à son épargne, elle‑même placée dans l’immobilier ou sur les marchés financiers. »

Cette proposition de loi présente enfin une visée écologique. La démesure de certaines rémunérations entraîne des modes de vie incompatibles avec un développement soutenable de l’économie. Selon les économistes Thomas Piketty et Lucas Chancel, les 10 % des ménages les plus riches sont responsables d’environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2015 tandis que les 40 % les plus pauvres représentent moins de 8 % des émissions. Dans un monde aux ressources naturelles finies, les crises écologique et sociale sont très largement imbriquées et l’empreinte écologique des plus riches doit être remise en cause.

 

Au final, limiter les écarts de rémunération constitue donc une mesure salutaire pour le monde du travail, l’économie réelle et l’environnement, qui souffrent de l’explosion des rémunérations d’une poignée d’individus.

 

Aussi, l’article 1er de cette proposition de loi vise à encadrer les écarts de rémunération au sein d’une même entreprise dans un rapport allant de un à vingt. À cette fin, il insère au sein du code du travail un chapitre préliminaire intitulé : « Encadrement des écarts de rémunération au sein d’une même entreprise ». Dans chaque entreprise, quel que soit son statut juridique, mais également dans les établissements publics à caractère industriel et commercial,  le salaire annuel le moins élevé pratiqué ne pourrait être plus de 20 fois inférieur à la rémunération annuelle globale la plus élevée, que celle‑ci soit celle versée à un salarié ou à un dirigeant mandataire social non salarié. Cet encadrement aurait ainsi vocation à remplacer le plafond de rémunération de 450 000 euros mis en place dans les entreprises publiques.

Pour l’application du présent article, il est proposé de prendre en compte, outre les rémunérations fixes, l’ensemble des rémunérations variables ou exceptionnelles qui représentent une part toujours plus importante dans le montant total de la rémunération perçue par les dirigeants. Ce faisant, le dispositif ne concerne pas exclusivement les dirigeants, mais s’applique en référence aux rémunérations les plus hautes, afin qu’il s’applique dans les entreprises où les dirigeants ne sont pas nécessairement ceux qui perçoivent les plus hautes rémunérations.

Précisons que ce mécanisme ne constitue pas un plafonnement des rémunérations. Il permettrait le cas échéant à l’entreprise de relever le salaire annuel le moins élevé pour rendre légale une rémunération maximale qui se retrouverait au‑delà du plafond fixé, notamment du fait des modalités de calcul des éléments variables.

Ces dispositions laissent aux entreprises concernées un délai d’un an à compter de la promulgation du présent texte pour se mettre en conformité avec les dispositions ainsi définies.

L’adoption de cet article permettrait d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés tout en participant, à plus grande échelle, à une meilleure répartition des richesses produites dans l’entreprise, au profit du travail et, indirectement, de notre système de protection sociale.

En complément, et afin d’élargir le dialogue social en entreprise, l’article 2 intègre le sujet des écarts de rémunération au sein de la liste des informations à fournir par l’employeur aux représentants du personnel dans le cadre de la consultation annuelle du comité social et économique sur la politique sociale de l’entreprise et les conditions de travail et l’emploi.

Enfin, l’article 3 vise à supprimer les outils de rémunérations variables des dirigeants d’entreprises que constituent les stock‑options et les actions gratuites. A l’œuvre depuis les années 1980, l’augmentation de la part de la rémunération basée sur le résultat et la valeur actionnariale de l’entreprise a eu tendance à aligner les objectifs des dirigeants d’entreprises sur ceux des actionnaires. Cette transformation managériale a profondément bouleversé les rapports salariaux et le partage de la richesse au sein de l’entreprise en faveur du capital. Alors que la part du travail dans la valeur ajoutée atteignait 75 % en 1982, elle est tombée à 68 % en 2017. En abrogeant les dispositifs de rémunération permettant de calquer les objectifs des dirigeants sur celle des actionnaires, cet article permettra un rééquilibrage du partage de la richesse et une incitation à limiter les écarts de rémunération au sein de l’entreprise.

 

 

 

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