Pour un service public du médicament

C’est la proposition de loi numéro 2892, officiellement enregistrée par les services de l’Assemblée nationale. Elle porte ce nom simple : pour un service public du médicament. Nous avions déjà esquissé cette idée dans notre proposition de loi pour un égal accès aux soins qui visait à faire face à l’urgence sanitaire, écrite à l’occasion de notre Tour de France des hôpitaux. Elle est ici détaillée et précisée. 

Lire la Proposition de loi n°2892 pour un service public du médicament 

 

Le médicament est un enjeu majeur de santé publique. En France, l’un des objectifs de notre système de santé est l’accès pour tous aux médicaments. Pour cela, la Sécurité́ sociale rembourse, à un taux compris entre 65 % et 100 %, les médicaments achetés par les Français afin que ces derniers puissent se soigner indépendamment de leur situation financière. Pour autant, ces dernières années, le secteur du médicament laisse entrevoir des failles majeures. Comment soigner et se soigner sans pouvoir compter sur les bonnes molécules disponibles ? Comment éviter l’addiction sociale aux traitements chimiques ? Comment empêcher la marchandisation du soin ? Comment assurer une recherche non conditionnée par les promesses de rentabilité ? Comment garantir la transparence et la justesse des prix ? Comment combattre l’appropriation privée des découvertes collectives ? Les questions sont nombreuses et les solutions actuelles ne sont pas satisfaisantes. Dans un autre registre, ces interrogations se posent aussi pour les dispositifs médicaux auxquels les soignants ont de plus en plus recours pour assurer les soins, grâce aux progrès technologiques. Au fil du temps, la puissance publique a perdu en maîtrise sur ces enjeux, laissant ainsi aux mains des laboratoires et d’entreprises privées des pans entiers de la politique de santé, non sans en assurer le financement, parfois bien aveuglément, et souvent en connaissance de cause.

Les failles du marché du médicament : recherche privatisée, pénuries de médicaments et progression des prix

La pandémie de coronavirus est venue souligner les défaillances de l’action publique dans le domaine du médicament et l’absence d’indépendance sanitaire. La première faille concerne la gestion publique des stocks de masques et de matériel médical, dont la tenue à niveau a été abandonnée pour nous placer dans une situation d’extrême vulnérabilité. La désactivation de l’Établissement public de préparation aux urgences sanitaires (EPRUS), et la logique de regroupement d’établissements publics qui sont intégrés dans de grands ensembles où leurs missions spécifiques sont noyées et parfois délaissées faute de moyens, a contribué à l’abandon d’une politique de stocks pour se reposer uniquement sur les flux, sans s’assurer d’une capacité de production nationale.

Ensuite, en matière de production de médicaments, la crise sanitaire n’a fait qu’accentuer les pénuries structurelles qui résultent notamment de la délocalisation massive de la fabrication de médicaments courants. En 2019, ce sont plus de 1 200 médicaments d’intérêt thérapeutique majeur qui ont été concernés par des tensions ou une rupture d’approvisionnement, contre 800 en 2018 et seulement 44 dix ans plus tôt. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : la sous‑traitance de production des principes actifs aux pays d’Asie, les comportements des grossistes répartiteurs qui préfèrent vendre leurs stocks de médicaments aux pays plus offrants, ainsi que des tensions d’approvisionnement volontairement créées par les laboratoires pour faire augmenter les prix. Les dispositions prises par le Gouvernement actuel dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 obligeant les fabricants à conserver des stocks disponibles, se sont avérées largement insuffisantes tout comme les plans de gestion de pénurie imposés à l’industrie pharmaceutique.

Enfin, les prix des médicaments apparaissent de plus en plus déconnectés des coûts réels de production et de recherche, garantissant des marges injustifiées aux laboratoires. Cette situation aboutit à faire peser des contraintes financières importantes sur la sécurité sociale, qui rembourse les soins tout en assurant des rentes de situation aux acteurs privés. En outre, la puissance publique peine à réguler efficacement le prix des médicaments alors même que la demande de médicaments est largement soutenue par la solidarité nationale. Les causes sont à chercher dans le déséquilibre croissant entre les moyens d’intervention de l’État et la force économique des entreprises du médicament. Malgré des prérogatives importantes, le Comité économique des produits de santé (CEPS), l’organisme interministériel chargé de négocier les prix des médicaments face aux laboratoires,  ne dispose pas aujourd’hui des moyens financiers et d’expertise suffisants pour remplir correctement sa mission.

Les dispositifs médicaux : un secteur désorganisé et dérégulé

Le secteur des dispositifs médicaux (matériel médical, dispositif orthopédique, respirateurs…)  fait également face à des défis majeurs. Là aussi, le constat qui ressort est celui d’une dépendance accrue de notre système de santé à la production étrangère, comme le montre de manière éclairante les pénuries de masque ou de respirateurs engendrées par la crise du coronavirus. Selon un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de janvier 2015, 55 % des dispositifs médicaux sont aujourd’hui importés d’autres pays. L’autre enjeu réside dans le contrôle sanitaire des dispositifs médicaux. La puissance publique est aujourd’hui défaillante pour contrôler la qualité des dispositifs avant leur mise sur le marché et surveiller les produits après leur commercialisation. Il peut en résulter des défaillances graves et préjudiciables pour la santé des patients. Enfin, ce secteur souffre d’un éclatement des acteurs qui empêche de structurer une filière industrielle capable de promouvoir des dispositifs présentant une réelle valeur ajoutée sanitaire.

L’exigence d’une maîtrise publique sur l’ensemble de la chaîne

Ces constats doivent nous conduire à sortir de la logique de marchandisation des soins de santé et des médicaments dominée par le consumérisme des produits pharmaceutiques. Les autorités publiques ont la responsabilité de garantir l’accessibilité universelle aux soins de santé et aux médicaments. Cela implique d’engager des mesures fortes de régulation sous l’égide de la puissance publique et de dégager des moyens nouveaux au profit de la recherche. L’État doit disposer d’outils publics et de moyens industriels pour garantir la disponibilité des médicaments essentiels, économiquement abordables, de bonne qualité et biens utilisés. L’organisation de la recherche doit se soumettre à l’intérêt général sous maîtrise citoyenne. Les coopérations internationales doivent être encouragées et les financements publics fournis à hauteur nécessaire. La législation internationale en matière de propriété intellectuelle et industrielle appliquée aux médicaments, doit être révisée sur la base de la primauté de la santé publique.

Depuis longtemps, les députés communistes et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine portent l’idée d’un pôle public du médicament. Des mesures en la matière ont été à plusieurs reprises mises sur la table de l’Assemblée nationale. Cette proposition de loi, tirant les leçons de la crise du coronavirus, formule une architecture globale permettant de créer les outils nécessaires à une politique publique du médicament au service de l’indépendance sanitaire de notre pays. Cela est d’autant plus indispensable que la stratégie nationale de santé, définie de manière pluriannuelle par le ministère de la Santé, n’aborde que très partiellement ces enjeux. La définition d’une stratégie nationale du médicament doit donc s’inscrire dans une démarche de planification et de démocratie sanitaire novatrice. Elle doit permettre la prise en considération de la demande sociale et faire le lien entre l’expertise, les avancées technologiques et les orientations politiques. Mais pour pouvoir la mettre en œuvre, la puissance publique doit à la fois renforcer les outils d’intervention existants et s’en doter de nouveaux.

En ce sens, il est nécessaire de disposer en premier lieu d’outils de recherche en matière de médicament comme de dispositifs médicaux afin de ne pas dépendre uniquement de l’initiative privée. Il est également indispensable de pouvoir s’appuyer sur un pôle public de production sur le territoire national permettant de répondre aux besoins de santé et d’éviter les pénuries, mais aussi de peser sur le marché du médicament pour en assainir les pratiques. S’agissant de la gestion des crises sanitaires, il convient sans plus attendre de réactiver l’EPRUS afin de disposer de capacités de stockage en matière de médicaments et d’équipements sanitaires essentiels. En matière de régulation du marché, le CEPS doit être doté de moyens suffisants d’analyse, de suivi et d’investigation afin de mettre régulièrement à jour les prix et redéfinir les critères de fixation de ceux‑ci. L’ensemble de ces acteurs seront articulés sous la responsabilité du ministère de la Santé et d’un Conseil national du médicament, chargé de planifier les besoins en médicaments et dispositifs médicaux en fonction de l’évolution des besoins en santé de la population.

La santé humaine est devenue l’un des espaces de profit pour la finance. Il est pourtant acquis que la loi de l’argent méconnaît l’intérêt général. Le droit à la santé ne peut être soumis à des calculs et à des spéculations. Il ne saurait être soumis à d’autres considérations que celles de la dignité humaine. Ces questions politiques sont aussi des sujets éthiques, des enjeux de civilisation. Nous voulons savoir, comprendre, et décider en connaissance de cause C’est la meilleure garantie que nous pouvons donner pour répondre aux besoins de santé. La démarche que nous portons est d’autant plus justifiée que le financement du marché du médicament repose en grande partie sur les remboursements de la collectivité au moyen de l’Assurance maladie. La situation actuelle appelle de manière urgente à une meilleure maîtrise publique dans les domaines du médicament et des dispositifs médicaux. C’est tout l’objet de ce texte que de répondre concrètement aux besoins de santé de nos concitoyens tout en développant une nouvelle ambition pour la sécurité sociale.

 

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La présente proposition de loi poursuit, au moyen de plusieurs mesures, un double objectif. Il s’agit d’une part d’organiser une politique publique des médicaments et des dispositifs médicaux visant à garantir l’indépendance sanitaire de notre pays, et d’autre part de renforcer la régulation économique et sanitaire des secteurs du médicament et des dispositifs médicaux afin de rendre accessibles au plus grand nombre les produits de santé, dans des conditions sécurisées et à un prix abordable.

Le titre Ier organise un service public du médicament et des dispositifs médicaux avec l’instauration de plusieurs leviers aux mains de la puissance publique dans le domaine du médicament et des produits de santé (dispositifs médicaux, matériel médical, vaccins). Concourant à la politique de santé publique, ces nouveaux outils permettent d’intervenir aux différentes étapes de la chaine du médicament (pilotage, recherche, production, stockage et distribution) et  d’assurer l’indépendance sanitaire de la France. Ils agissent en complémentarité avec les organismes publics existants : l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), la Haute autorité de santé (HAS), et le CEPS.

L’article 1er crée un Conseil national du médicament et des produits de santé dont la mission est d’élaborer une stratégie nationale pluriannuelle en matière de médicaments et de produits de santé. Cette nouvelle instance démocratique vise à contribuer à la planification des besoins en médicaments en fonction de l’évolution des besoins en santé de la population pour les différents acteurs de la chaîne du médicament et formule des orientations en toute transparence ainsi que le contrôle de leur mise en œuvre.

L’article 2 institue un Pôle public du médicament qui concourt à une politique publique en matière de médicament et de produits de santé au service des besoins en santé de la population et des établissements de santé. Ce nouvel établissement public assure trois missions principales. Il contribue à la recherche médicale et pharmaceutique. Il assure une production publique de médicaments, notamment de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, permettant de garantir un accès au plus grand nombre à un prix abordable. Enfin, il est en charge de coordonner avec d’autres établissements publics (Pharmacie centrale des armées et pharmacies des hôpitaux publics) la production et l’approvisionnement des médicaments concernés par des pénuries ou des tensions d’approvisionnement. 

L’article 3 institue un laboratoire public de recherche en dispositifs médicaux. Outre la recherche, ce nouvel organisme aura la capacité de fabriquer des dispositifs médicaux jugés essentiels pour garantir l’indépendance sanitaire. Il aura enfin la possibilité d’accompagner les entreprises de la filière dans la validation clinique de leurs dispositifs médicaux afin de renforcer la sécurité sanitaire de ces produits pour la population.

L’article 4 rétablit en tant qu’organisme autonome l’EPRUS afin de disposer d’un outil public réactif pour faire face aux pandémies. Cet établissement public créé en 2007, et fusionné en 2016 dans Santé publique France, assurait la gestion des moyens de lutte contre les menaces sanitaires graves, tant du point de vue humain avec la gestion de la réserve sanitaire que du point de vue matériel par l’achat et le stockage de produits sanitaires d’urgence (matériel médical, masques, gants, médicaments). Il convient de le réactiver en le dotant de moyens financiers importants. Tel est le sens de cet article.

Le titre II ambitionne de mieux réguler le marché des médicaments et des dispositifs médicaux tout en renforçant la transparence au sein des deux filières. Dans cet objectif, les dispositions qui suivent visent, d’une part à renforcer de manière importante les prérogatives du CEPS pour en faire une véritable autorité publique de régulation des prix des médicaments, et d’autre part à accroître le contrôle sanitaire des dispositifs médicaux.

En ce sens, l’article 5 oblige le CEPS à prendre en compte les efforts réels de recherche et développement des industriels dans le processus de fixation des prix des médicaments avant leur distribution.

Reprenant une recommandation issue de la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2017, l’article   instaure des obligations périodiques de révision des prix des médicaments par le CEPS afin de diminuer les rentes de l’industrie pharmaceutique. Le prix des médicaments serait ainsi révisé à l’issue de cinq années pour les médicaments les plus innovants, et tous les trois ans pour les autres médicaments ainsi que ceux faisant l’objet d’extension d’indications thérapeutiques.

L’article 7 élargit la gouvernance du CEPS. Afin de renforcer ses capacités, il prévoit d’intégrer en son sein les expertises des laboratoires publics de recherche (CNRS, INSERM) ainsi que le Pôle public du médicament. Cet article prévoit en outre que le CEPS agit en fonction des orientations fixées annuellement par le Conseil national du médicament et des produits de santé instauré dans la présente proposition de loi.

L’article 8 crée une nouvelle obligation de transparence à la charge des entreprises pharmaceutiques afin qu’elles publient annuellement les aides publiques qu’elles perçoivent.

L’article 9 élargit la liste des incidents devant faire l’objet d’une déclaration obligatoire sans délai à l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur les dysfonctionnements des dispositifs médicaux.

L’article 10 crée un observatoire citoyen des dispositifs médicaux qui a pour mission de garantir la transparence des données issues de la surveillance des incidents pouvant survenir lors de l’utilisation d’un dispositif médical.