PLFSS 2023. Ce budget de la sécurité sociale ne passe pas !

Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour2023 -Discussion générale - Séance du 20/10/2022

 

Aujourd’hui, c’est le jour de la marmotte, ou peut-être demain. Vous aurez l’impression d’avoir déjà vécu cette scène. Comme hier, la Première ministre entrera par cette porte. La séance reprendra. Elle annoncera que notre discussion est terminée. Nos objections, nos propositions et même nos approbations seront balayées comme des feuilles mortes, tu vois je n’ai pas oublié. La démocratie sera de nouveau foulée aux pieds, et avec elle, la santé et la sécurité sociale.

Et si tel devait être le cas, nous franchirions un nouveau palier dans l’étatisation de la sécurité sociale.

Mais il existe une autre voie que vous pouvez emprunter, monsieur le ministre, avec le gouvernement, celle d’admettre que vous n’avez pas la légitimité de décider seuls, celle de considérer que vous devez entendre les visions divergentes et les propositions que nous formulons pour faire face aux défis, celle d’accepter de tempérer vos ardeurs, celle d’avoir le courage de la confrontation démocratique.

Nous y sommes prêts. C’est pour cette raison que nous sommes là. La démocratie, la politique en sortiraient grandies. Souffrez donc qu’on vous conteste, qu’on vous résiste, qu’on vous oblige à défaut de toujours vous convaincre. 

Vous nous présentez, comme d’habitude, le meilleur budget de tous les temps, de toute l’Europe, de tout l’univers. C’était aussi le cas l’année dernière, mais les records sont faits pour être battus. Quand vous vous regardez, vous avez envie de vous chanter des louanges. Je suis bien placé pour vous dire que même les superhéros ont parfois des problèmes de vue. Et vous êtes vous-mêmes abusés par votre propre trompe l’œil. C’est beau, un trompe l’œil. Quoique, pas toujours. Mais c’est conçu pour faire semblant. 

Car ça va mal, mesdames et messieurs les ministres. Les records qui sont en train d’être battus, ce sont ceux des inégalités sociales et territoriales de santé. Vous n’avez toujours pas pris la mesure de la crise profonde qui frappe notre pays, qui touche ses points névralgiques comme l’hôpital, et qui voit s’étendre les déserts médicaux. Vous continuez à assécher les finances de la sécurité sociale avec un taux de financement par les cotisations sociales qui est passé de 90% il y a quarante ans à 38% aujourd’hui. Chaque année, c’est la foire aux exonérations et surtout vous ne voulez pas toucher aux exonérations acquises, vous nous l’avez assez répété, en écho avec la ritournelle libérale de l’Union européenne.

Alors votre budget continue à creuser dans la même veine. Oui, à creuser, car vous nous racontez des sornettes. Au regard de 2022, l’Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie, ce fameux ONDAM, ce fameux couvercle sur la cocotte, est en baisse de 0,8%. Et parmi les sous-ondam, je veux citer celui du médico-social particulièrement faible alors que 70% des dépenses du secteur sont les salaires. Au général, l’ONDAM est en baisse en valeur absolue, comme si l’an dernier, c’était trop. Je n’ai pas souvenir d’un tel choix, c’est une décision grave et irresponsable. C’est un ONDAM scandaleux ! Et je ne vois pas comment ça peut tenir. Vous nous dites : oui, mais en 2022, c’était un budget de crise Covid 19. Par la magie du crâne ancestral, vous avec décidé de faire disparaître le Covid 19. Chapeau. Comment expliquer qu’on n’y ait pas pensé avant ? Vous nous bercez d’illusions et vous vous arrangez avec le réel. 

Dans une opération arithmétique illusoire, vous divisez les dépenses Covid par 11 : belle ambition de lutte contre ce fléau. Vous oubliez les besoins liés aux soins différés : le Covid a en effet interrompu de nombreux parcours de soins, 1 million d’interventions chirurgicales ont été déprogrammées et le rattrapage est toujours en cours.

- Vous imaginez que la somme des besoins de santé va se rétrécir. Premier arrangement avec le réel. Il y a deux crises pour un seul budget, et non l’inverse : la crise Covid 19 qui va se poursuivre un peu plus que ce que vous dites et la crise de tout le reste qui va continuer à prendre de l’ampleur.

- Deuxième arrangement avec le réel : dans vos prévisions, la croissance est surestimée à 1% tandis que la Cour des comptes évoque un maximum de 0,6%. L’inflation est sous-estimée à 3,7% tandis que les prix augmentent de 6 à 7%, et que les tarifs de l’énergie flambent et que les dépenses de Santé affichaient déjà avant 2019 une augmentation tendancielle à 4,5%. Sans compter que pendant 10 ans, le plafonnement de l’ONDAM à 2,5% a précipité la fermeture en masse de lits et de services dans les hôpitaux publics, augmenté la cadence du travail des soignants jusqu’à l’insupportable et nourri la désertification médicale, projetant notre système de santé dans des affres qui appellent un grand plan de rattrapage. 

- Troisième arrangement avec le réel : les comparaisons que vous inventez sont hors de propos. En 2019, l’ONDAM augmentait de 2,5%, c’est-à-dire 2% de moins que ce qu’il aurait fallu pour maintenir le système au même niveau de crise, tandis que l’inflation générale était à 0,9%. Aujourd’hui, il baisse de 0,8%, mais même s’il l’on reprend votre chiffre joker traficoté de + 3,7%, aujourd’hui, l’inflation générale est peut-être sept fois supérieure et qu’elle porte l’augmentation tendancielle des dépenses de santé bien au-delà des 4,5%.

Alors franchement, qu’est-ce qu’on est loin, qu’est-ce qu’on est loin du compte ! Et pour nous, comme le dit la chanson, « Y’a pas d’arrangement ! »

Ce ne sont pas les sources de financement qui manquent. Il y a déjà près de 18 milliards d’euros immobilisés par la Cades pour rembourser une partie de la dette Covid et qui pourraient être réaffectés. Il y a 62 milliards d’exonérations de cotisations sociales, qui affaiblissent notre modèle social. Mais comme à l’accoutumée, le PLFSS que vous nous soumettez fait le choix de la réduction des dépenses publiques au détriment des besoins sociaux et de santé de notre population. 

Alors bien sûr, dans la rubrique « dans ce budget, il y a », il y a quelques bonnes idées que vous avez placées en tête de gondole, et je les reconnais bien volontiers pour que vous entendiez bien clairement la sincérité de mes critiques : l’amélioration du complément libre choix mode de garde, l’élargissement du dépistage sans ordonnances des infections sexuellement transmissibles, ou la gratuité de la contraception pour les femmes que je veux particulièrement saluer. J’y ajoute par bonté d’âme l’augmentation à retardement du point d’indice des fonctionnaires au mois de juillet, même si elle est tarpin rétrécie, comme on dit à Marseille. Et même si elle survient après un rattrapage insuffisant, lacunaire et injuste à travers le Ségur. Je recevais encore voici quelques jours les auxiliaires de puériculture et les infirmières puéricultrices du service de pédiatrie de l’hôpital de Martigues qui m’alertaient sur leur situation. Il faudra bien remettre tout ça à plat.

Dans ce budget pour 2023, il y a aussi ces demi-mesures, ces mesures mal gaulées, ces mauvaises réponses à de bonnes questions. Comme cette volonté de priver le régime de retraite complémentaire AGIRC-ARCCO de sa fonction de recouvrement afin d’affaiblir le régime. Comme cet ajout d’une année de rab de stage pour les étudiants en médecine générale afin de disposer d’une main d’œuvre captive et bon marché. Comme ce transfert du congé maternité à la branche famille qui en change le sens. Comme cette compensation dont on n’est pas certain qu’elle soit intégrale des exonérations de cotisations sociales. Comme ces ONDAM des trois années d’après scotchés à la barre des 2,6-2,7. Comme ces rendez-vous de prévention tombés du ciel, dont les mutuelles sont écartées et qui ignorent le suivi du médecin traitant, les rendez-vous de prévention déjà programmés et le dénuement de la santé scolaire, de la santé au travail, des PMI ou de la santé mentale. Comme ces deux heures de lien social sans les crédits de formation et sans desserrer l’étau pour le reste.

Dans ce budget pour 2023, il y surtout tout ce qui fait défaut. Un pôle public du médicament, une sécurité sociale qui prend en charge les frais de santé à 100%, un veritable droit à l’autonomie, un grand plan de formation et d’embauche pour l’hôpital. Mais aussi le choix du conventionnement sélectif, la reconstruction de la permanence des soins, un véritable encadrement de la téléconsultation et du recours aux cabines, une remise en cause de la taxe sur les adhérents des mutuelles qui pèse lourd sur les jeunes et les retraités, un bilan du RAC zéro, une grande conférence des métiers pour en décider les évolutions, un plan soutenu en faveur des centres de santé à but non lucratif, la nationalisation de doctolib, le soutien à l’Etablissement français du sang et au principe du don, un cadastre des maladies professionnelles pour lutter contre les maladies éliminables...

Dans ce budget pour 2023, il y a enfin tout ce qui continue et dont on ne parle pas. Ces fermetures de lits et de services dans les hôpitaux, la tarification à l’acte, le tiers-payant toujours généralisable et jamais généralisé, ces autorisations d’équipement qui vont au privé plutôt qu’au public, ces consultations en psychologie qui abîment le métier et ne répondent pas aux enjeux, ce manque de places dans les universités pour les études de médecine, ce plancher à 22 euros pour les heures d’aide à domicile, ce taux d’encadrement à 0,6 au lieu de 1 dans les EHPAD, cette persistance de la marchandisation-financiarisation de l’accompagnement et du soin… 

Et ce n’est sans doute pas cette fois que nous en parlerons vraiment ici, puisqu’aujourd’hui, c’est le jour de la marmotte, ou peut-être demain. Mais la réalité que masque le geste politique annoncé, c’est que ce budget de la sécurité sociale ne passe pas. Et, avec en tête les multiples noms et les multiples visages de celles et ceux qui soignent et qui se soignent, qui accompagnent et qui sont accompagnés, qui vivent et qui espèrent, nous sommes ici pour le changer. Tu vois, je n’ai pas oublié. 

 

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